Les filles atteignent de nouveaux sommets en Afrique de l’Est

Il y a quatre grands trophées sur le pupitre de Yadah Mouzamin à l’école primaire de Nyai. Ils sont couleur or pâle et portent des étiquettes en ruban-cache, dont une qui dit « U14 Boys 2016 Champions ». Je me demande de quel sport il s’agit. Et je me demande aussi si les étiquettes sur les trois autres trophées portent le nom de filles. Mais ma collègue Aminah Kaherebu les déplace poliment parce qu’ils bloquent la vue de M. Mouzamin, l’enseignant principal de l’école.

Nous avions une rencontre avec M. Mouzamin afin d’en apprendre davantage sur l’engagement de l’École primaire de Nyai dans un programme visant à améliorer l’éducation primaire et préprimaire pour les enfants en Afrique de l’Est – un programme financé par la Fondation Aga Khan et Affaires mondiales Canada. C’est la veille de la Journée internationale de la fille, et nous voulons comprendre comment ce programme aide les élèves, les enseignants et les communautés à surmonter les obstacles à l’éducation des filles.

L’École primaire de Nyai est située dans le district de Koboko, dans le nord de l’Ouganda, à la frontière avec la République démocratique du Congo et le Soudan du Sud. L’école grossit et compte aujourd’hui 475 garçons et 428 filles. M. Mouzamin suit les inscriptions de près parce qu’il veut savoir si les enfants, et surtout les filles, reviennent à l’école chaque année.

Dans le passé, les habitants de Nyai voyaient la scolarisation des filles d’un mauvais œil. Certains croyaient que l’éducation des filles était un gaspillage d’argent parce que, comme l’explique M. Mouzamin, « les filles sont comme des oiseaux ». Elles quittent le nid familial lorsqu’elles se marient. L’école primaire est gratuite, mais les livres, les fournitures et les uniformes représentent des dépenses que les familles ne peuvent pas se permettre ou choisissent de ne pas faire. Comme certaines filles se marient et quittent le foyer très jeunes (parfois à 12 ou 13 ans) – le mariage d’enfants est un problème dans le district –, certaines familles ne voyaient pas l’intérêt d’investir dans l’éducation de leurs filles.

L’éducation secondaire leur est encore moins accessible, puisqu’elle n’est pas gratuite. M. Mouzamin nous parle d’une jeune fille brillante qui est bloquée au primaire. Elle a réussi l’examen de fin du primaire deux fois. Mais elle est revenue faire la dernière année du primaire une troisième fois parce que sa famille n’a pas les moyens de l’envoyer au secondaire.

Selon M. Mouzamin, le manque de confiance en soi est un autre obstacle à la rétention scolaire parmi les filles. Les menstruations sont un autre facteur parmi les adolescentes. De nombreuses filles craignent ne pas savoir comment gérer leurs règles à l’école et peuvent ainsi décrocher ou manquer des cours, accumuler du retard ou perdre confiance en leurs capacités. M. Mouzamin nous explique que les garçons taquinent souvent les filles au sujet de leurs règles, ce qui peut affecter leur confiance en soi et leur désir de rester à l’école.

Mais M. Mouzamin affirme que le programme de la Fondation Aga Khan contribue à atténuer les attitudes négatives face à l’éducation des filles et à faire de l’École primaire de Nyai un environnement d’apprentissage accueillant pour les filles. En guise d’explication, il me présente le comité de direction de l’école, responsable de la planification scolaire et de l’établissement des priorités, ainsi que l’association des parents d’élèves, responsable de la mise en œuvre.

Le soleil brille comme une pièce d’or dans un ciel sans nuages, et nous nous réfugions à l’ombre d’un arbre, sur des bancs disposés en cercle. Une pancarte clouée à l’arbre informe les élèves qu’ils sont trop jeunes pour avoir des relations sexuelles – un message très courant dans les cours d’école de l’Ouganda.

Dans le cadre de ce programme d’éducation, la Fondation Aga Khan Ouganda a formé trois organismes locaux pour qu’ils partagent des compétences et des connaissances sur l’égalité entre les sexes avec les comités de direction scolaire et les associations de parents d’élèves. Le nombre de membres de ces groupes est un témoignage de la réussite du programme. Avant la mise en place du programme, les comités ne comprenaient que des hommes.

Aujourd’hui, je compte sept femmes et neuf hommes à la réunion. De plus, les femmes répondent à mes questions tout aussi rapidement que les hommes. Une d’entre elles m’explique une des leçons qu’elle a tirées de la formation. Elle a compris la différence entre le genre (un concept social) et le sexe (un concept biologique), et elle a réalisé que les rôles liés au genre peuvent être redéfinis et que les filles sont capables de faire tout ce que les garçons font. Ces efforts d’égalité des genres ont contribué à l’amélioration des attitudes envers l’éducation des filles.

Les membres du groupe sont fiers de parler du Plan de développement scolaire en raison de son volet d’égalité hommes-femmes. Le Plan a été conçu en collaboration avec l’enseignant principal et la communauté scolaire. Il prévoit que les garçons et les filles travaillent ensemble pour cultiver des fleurs et un jardin dans la cour d’école. La direction de l’école espère que les garçons cesseront de taquiner les filles au sujet des rôles sexuels et qu’ils seront respectueux de leurs contributions respectives à ce projet commun. Un autre plan consiste à bâtir un local où les filles pourront se laver, afin qu’elles se sentent à l’aise de venir à l’école lorsqu’elles ont leurs règles. Le plan prévoit également un espace confidentiel dans lequel les filles pourront rencontrer des enseignantes afin de discuter de leurs difficultés et de recevoir le soutien dont elles ont besoin pour terminer le primaire. Comme les filles sont les mieux placées pour cerner les obstacles à leur éducation, il faut leur offrir le soutien nécessaire pour surmonter ces obstacles.

Jusqu’à présent je suis une simple observatrice dans cette communauté… mais tout d’un coup, un des membres du comité (un homme) me propulse dans le feu de l’action. Il s’exclame énergiquement : « Les femmes s’assoient devant les hommes, comme vous le faites », en faisant référence à moi et à mes collègues de la Fondation Aga Khan Ouganda Aminah Kaherebu et Agnes Badaru. Pour lui, nous représentons la juste place des femmes en tant qu’égales des hommes. Je suis touchée d’être incluse, surtout parmi mes collègues qui sont si dévouées à la cause de collectivités comme Nyai. Puis je me sens inspirée par l’enseignant principal et les membres de la collectivité, qui travaillent si fort pour l’éducation des filles.

Tandis que nous échangeons à l’ombre de l’arbre, tout devient clair pour moi : avec un soutien adéquat, les filles demeurent des oiseaux, mais leur envol ne se limite pas au foyer de leur mari. Le ciel au complet leur est ouvert, et elles peuvent y tracer leur avenir.

Hilary Clauson est une agente de programme à la Fondation Aga Khan Canada.

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