Des nouvelles du terrain : Toucher le cœur des gens – une leçon de journalisme au Kenya

J’ai retrouvé Jesca Ciahcabi sous l’ombre d’un bananier. Quand je lui ai tendu la main pour serrer la sienne, elle s’est approchée pour me faire une accolade. Nous étions à Ndiruni, un petit village situé à environ trois heures de route au nord-est de Nairobi.

Elle m’a saluée dans sa langue natale, le Gichuka, et m’a flatté les cheveux. Elle avait les yeux bleus en raison d’une perte de pigmentation et son visage était plein de rides.

Je suis allée à Ndiruni pour réunir Mama Jesca et sa meilleure amie d’enfance qu’elle n’avait pas vue depuis plus d’une décennie. Habisag Jaction vit à seulement quelques kilomètres de là, mais puisque les deux femmes sont âgées de plus de 110 ans, elles ne se déplacent pas facilement.

L’identification formelle n’existait pas au Kenya à l’époque où Mama Jesca (à gauche) et Mama Habisag sont nées, leur âge ne peut qu’être estimé.

Quand elles se sont enfin revues, Mama Habisag a échappé son bol de noix de Macadam et Mama Jesca s’est mise à pleurer. Les deux amies ont passé l’après-midi à échanger les dernières nouvelles de leurs arrière-arrière-petits-enfants et à repenser aux fois où elles se cachaient des voleurs de bétails et à quand elles se préparaient pour aller danser au lieu d’accomplir leurs tâches.

En écoutant silencieusement les deux centenaires qui se retrouvaient, j’ai tenté de m’imaginer ce que ce serait d’avoir une meilleure amie pendant 100 ans.

Quand j’ai commencé mon stage en août 2014, j’avais une idée bien précise du type de nouvelles sur le développement que je voulais couvrir au Kenya. J’avais récemment travaillé comme journaliste politique en Alberta et je voulais continuer dans la même veine : celle des nouvelles percutantes.

Mama Habisag (à gauche) et Mama Jesca se remémorent plus d’un siècle de précieux souvenirs.

Pourtant, je n’ai trouvé ni discours, ni scandale, ni statistique à Ndiruni. J’ai plutôt trouvé deux « femmes en or » dont les récits sur la guerre, la paix et la colonisation ont ébranlé mon âme. Je n’avais jamais écrit d’histoire semblable, ayant toujours tenté d’éviter le journalisme superficiel lorsque j’étais au Canada.

Toutefois, une fois l’article imprimé, l’histoire fut loin d’être considérée comme étant superficielle. Nous avons reçu de nombreux appels téléphoniques de la part de personnes voulant témoigner aux deux femmes et à leur famille, leur admiration, leurs félicitations et parfois, des demandes de rencontre.

Réunir Mama Jesca et Mama Habisag fut l’une de mes expériences les plus enrichissantes à ce jour. En tant que journaliste, j’ai alors compris quelque chose d’essentiel : le journalisme n’a pas besoin d’être percutant pour avoir un impact, il suffit qu’il touche le cœur des gens.

Au cours des huit derniers mois, j’ai appliqué cette même leçon dans mes reportages sur le développement international : les nouvelles ne se résument pas à des chiffres. Me libérer du paradigme journalistique des faits, des chiffres et des diagrammes fut un défi déterminant durant mon stage et au final, j’ai pu devenir une meilleure journaliste.

Elizabeth McSheffrey, participante au Stage pour jeunes professionnels des médias (JPM) en 2014-15, visite Mama Habisag (à gauche) et Mama Jesca à Ndiruni, au Kenya.

J’ai raconté quelques-unes des histoires les plus significatives de ma carrière à ce jour, ici au Kenya, et quand j’y pense, j’ai du mal à croire que tout a commencé avec Mama Jesca, assise sous un bananier à Ndiruni.

Lisez l’histoire d’Elizabeth dans le Daily Nation à propos de Mama Jesca et Mama Habisag ici.