Un entrevue avec Onno Ruhl, directeur général de l’Agence Aga Khan pour l’habitat

Onno Ruhl est le premier directeur général de l’Agence Aga Khan pour l’habitat (AKAH), créée en 2016 pour faire face à la menace croissante que représentent les catastrophes naturelles et le changement climatique. L’agence s’efforce de garantir que les communautés soient aussi à l’abri que possible des effets des catastrophes naturelles, que les résidents qui vivent dans des zones à haut risque soient capables d’affronter les catastrophes sur le plan de la préparation et de la réponse, et que ces milieux offrent un accès aux services sociaux et financiers qui conduisent à de plus grandes opportunités et à une meilleure qualité de vie.

La Fondation Aga Khan Canada s’est entretenue avec Onno durant une visite au Canada pour en savoir plus.

Parlez-nous du travail de l’AKAH. Comment l’agence a-t-elle vu le jour?

L’AKAH est une nouvelle agence, mais elle n’est pas nouvelle en ce sens qu’elle est en fait construite sur l’héritage d’un certain nombre d’organisations qui existaient dans le Réseau Aga Khan de développement (AKDN). Son Altesse [l’Aga Khan] a réalisé que l’intensité, en termes de fréquence mais aussi de gravité, des catastrophes naturelles dans le monde entier s’est considérablement aggravée. De ce point de vue, les solutions qui ont permis d’assurer la sécurité des communautés au cours des 20 dernières années ne seront probablement pas suffisantes pour continuer d’assurer leur sécurité pendant encore 20 ans, et encore moins pendant 50 ans.

Son Altesse a déclaré que le travail ne devrait plus consister à comprendre l’habitat en termes de ce qui est, mais plutôt en termes de ce qui devrait être. Et la façon dont nous avons maintenant formulé cela dans notre propre stratégie est de passer de la planification de la sécurité à la planification des opportunités, même face à un risque croissant.

Quel rôle les communautés jouent-elles dans la « planification des opportunités »?

La mobilisation des communautés a commencé comme un complément à la cartographie des risques physiques dans chacune des communautés où nous travaillons. Cela signifie que vous envoyez des géologues et des mobilisateurs communautaires – parce que la communauté doit vous permettre de le faire – pour aller littéralement dans un village et cartographier les biens physiques. Nous disposons donc, comme capital intellectuel dans notre agence, des évaluations des risques et de la vulnérabilité aux aléas de 2 207 collectivités en Inde, au Pakistan, au Tadjikistan et en Afghanistan.

Aujourd’hui, la combinaison de nos compétences en enquêtes et en géologie, et la capacité à travailler avec les bases de données du SIG [système d’information géographique], constituent le même ensemble de compétences dont on aurait besoin pour utiliser les mêmes bases de données non seulement pour cartographier les risques, mais aussi pour planifier. La logique est donc de s’appuyer sur les compétences existantes et de mettre au point une méthodologie qui nous permette de travailler avec ces communautés afin de planifier.

Mais la planification n’a aucune valeur si vous commencez à planifier une collectivité sans engagement. La collectivité ignorera ce que vous faites ou elle pourrait devenir hostile, car qui sommes-nous pour faire un plan pour la collectivité? Il faut donc deux aspects vraiment importants de l’engagement. Tout d’abord avec la communauté elle-même, et ensuite, ce qui est très important, avec le gouvernement responsable de la géographie particulière.

Pourquoi travailler dans cette partie du monde? Pourquoi est-il important que cette partie du monde s’engage et réfléchisse à ces questions de climat et d’habitat?

Il est bien connu qu’il y a deux calottes glaciaires qui fondent dans le monde : le pôle Nord et le pôle Sud. Ce que peu de gens savent, c’est que la troisième plus grande concentration de glace au monde, parfois appelée « troisième pôle », est la chaîne de montagnes himalayennes. Et il s’agit d’une géographie très différente. Il n’y a pas d’ours polaires là-bas. Il y a des gens qui y vivent, et ils sont aussi menacés que les ours polaires. Et lorsque vous descendez le courant, ce « troisième pôle » est en fait le bassin hydrographique qui nourrit un milliard et demi de personnes en Asie, s’étendant de l’Afghanistan au Vietnam, et jusqu’en Chine, en Asie centrale, en Inde, au Pakistan, au Bangladesh. Il y a donc des raisons impérieuses de travailler dans ce domaine, car c’est l’une des principales lignes de front de l’adaptation au changement climatique.

Les gens aiment parler de l’atténuation du changement climatique. Mais ils oublient souvent qu’environ 200 millions de personnes dans le monde aujourd’hui sont déjà en danger dans leur habitat à cause du changement climatique qui s’est déjà produit. Il y a donc des raisons réellement pressantes de travailler dans ces zones géographiques. Vous ne pouvez pas simplement déplacer 200 millions de personnes, cela ne fonctionnerait pas. Nous devons travailler avec ces gens pour les aider à s’adapter à l’endroit où ils se trouvent.

La deuxième raison pour laquelle nous travaillons dans cette partie du monde est que c’est ici que l’AKDN s’est historiquement engagé depuis très longtemps. Et c’est donc là que nous sommes enracinés dans ces collectivités d’une manière qui nous permet de faire des choses que, je pense pouvoir dire avec une certaine confiance, d’autres réseaux de développement ne seraient pas en mesure de faire.

Les montagnes sont souvent considérées comme marginales. Et on pense souvent que c’est juste une cause désespérée que de permettre aux montagnards de s’épanouir parce que c’est un environnement si difficile. À l’AKDN, nous n’acceptons pas cela. La Suisse, en 200 ans, a réussi à faire des montagnes un remarquable avantage concurrentiel et à devenir l’un des pays les plus riches du monde. D’autres collectivités de montagne, à long terme, devraient pouvoir prospérer et maintenir leur héritage et profiter des montagnes sans dépeupler ces belles régions.

Quels sont les autres grands domaines de travail de l’agence?

Je pense qu’il est important de parler du pain et du beurre de l’AKAH, à savoir l’approvisionnement en eau et l’assainissement.

Au cours des 18 dernières années, l’AKDN a fourni de l’eau courante à un demi-million de foyers. Dix ans plus tard, on nous a demandé d’évaluer ce qui avait été construit. Quatre-vingt-seize pour cent des installations fonctionnaient encore selon les normes de l’Organisation mondiale de la santé.

La raison pour laquelle elles fonctionnaient encore est la même que celle pour laquelle elles ont fonctionné dès le début : l’ingénierie est excellente, et nous avons cherché des sources d’eau susceptibles de produire la qualité que nous voulions. Mais la raison pour laquelle les installations continuent de fonctionner est que la communauté a aidé à les construire et que nous avons formé des membres de la communauté à l’entretien régulier. Pas de réparations après une panne, mais un entretien régulier.

La première fois que j’ai vu une de ces combines, ils m’ont donné un verre d’eau. J’ai fait ce truc où on ferme la bouche et on fait semblant de prendre une gorgée. Mon PDG du Pakistan m’a vu faire et m’a dit : « Non, non, tu peux le boire. » J’ai répondu : « Je suis un étranger, je ne suis pas habitué à l’eau ici, je vais tomber malade. » À quoi il a répondu : « Si vous pouvez boire de l’Evian, vous pouvez boire ceci. » Alors j’ai bu l’eau, et tout s’est bien passé.

Et c’est important parce que je pense que ce que nous faisons dans les pays en développement devrait être aussi bon ou meilleur en termes de qualité que ce que nous faisons ailleurs dans le monde. Ils ont besoin de qualité plus que quiconque.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En quoi certaines de ces questions sont-elles différentes pour les femmes et les filles?

La planification des opportunités signifie que vous ne pensez plus seulement à la façon dont la communauté peut survivre, mais à la façon dont elle peut, avec le temps, se sortir de la pauvreté. Si vous faites cela, alors il est très important de réaliser qu’il s’agit d’un mouvement intergénérationnel.

Aujourd’hui, dans la plupart des sociétés où nous travaillons, la tradition veut que les fils de la famille suivent les traces du père. Pour faire simple, s’ils sont agriculteurs, les fils seront probablement agriculteurs. Puis on se rend soudain compte que si une seule des filles peut devenir infirmière, ce qui est possible dans l’AKDN, toute la famille aura un avenir complètement différent.

C’est un exemple, qui ne concerne qu’une seule famille. Mais si vous multipliez cela, vous ne vous concentrez pas seulement sur les jeunes, vous vous concentrez sur les jeunes femmes parce que c’est là que les efforts peuvent avoir le plus d’impact.

Comprenez que lorsque je dis cela, je n’ai absolument rien contre les garçons. Ils peuvent et doivent eux aussi tirer le meilleur parti de leur vie. Mais si vous vous concentrez réellement sur l’autonomisation des filles, le développement peut aller très vite, je crois.

Qu’est-ce qui vous inspire à faire ce travail?

J’aime raconter l’histoire d’un village qui a été frappé par l’inondation d’un lac glaciaire. On avait beaucoup travaillé sur un système d’alerte précoce, sur la surveillance des glaciers à l’aide de drones, toutes sortes de trucs sophistiqués [pour détecter les risques].

Mais en fin de compte, ce qui fonctionne, c’est deux garçons avec un drapeau, assis sur une pente de colline à regarder un glacier, et deux garçons assis de l’autre côté qui guettent le drapeau des deux premiers garçons pour donner l’alerte que le risque s’est matérialisé et qu’il est temps d’évacuer les gens. C’est la mobilisation de la communauté. Lorsqu’on combine la mobilisation communautaire et la science, on constate que quatre garçons qui restent éveillés toute la nuit peuvent sauver 250 personnes dont les maisons ont été inondées.

J’ai passé ma carrière dans le développement, et c’est ce genre d’histoire qui continue de m’inspirer. Au fil des ans, plus je voyageais et plus je parlais aux gens du développement et essayais de le comprendre, plus je me rendais compte que les réponses ne se trouvent pas dans les contributions des étrangers, mais dans ce que la communauté elle-même peut faire.

Cet entretien a été édité par souci de concision et de clarté.