Entretien avec Yasmin Karim, conseillère régionale en matière de genre, Fondation Aga Khan Pakistan

À la Fondation Aga Khan, les conseillères et conseillers en matière de genre comme Yasmin Karim sont essentiels pour garantir que l’égalité entre les genres demeure une composante essentielle de la programmation et de la culture organisationnelle.

Nous avons discuté avec Yasmin afin d’explorer son travail à la Fondation Aga Khan, ce qui l’a inspirée à poursuivre une carrière en égalité entre les genres et ses réflexions sur l’avenir du travail en égalité entre les genres.


Que faites-vous à la Fondation Aga Khan?

Je travaille pour la Fondation depuis 2011. Actuellement, je suis conseillère en matière de genre et de respect et sécurité des personnes pour le Programme d’appui rural Aga Khan (AKRSP) au Pakistan, où je travaille sur l’intégration et la prise en compte du genre dans les projets. J’aide également le secteur à produire des propositions sensibles au genre. J’apporte mon soutien lors du suivi des processus afin de garantir une collecte de données non discriminatoire et le respect des approches d’intégration de la dimension de genre. En outre, j’aide mon équipe sur le terrain à organiser des séances de formation sur la sensibilisation au genre, la prise de conscience du genre et l’analyse comparative entre les genres.

Nous avons actuellement quelques projets qui nécessitent une analyse comparative entre les genres. J’essaie également de constituer une équipe – parce que l’AKRSP est un programme de la Fondation Aga Khan Pakistan financé par des donateurs, le nombre de nos projets fluctue sans cesse, et nous devons généralement recommencer depuis le début. Je veux donc m’assurer que les politiques pertinentes sont en place dès le début des projets et qu’elles peuvent être mises en œuvre. Je m’assure également que notre département des ressources humaines et les personnes de référence en matière de respect et sécurité et de genre sur le terrain organisent des séances afin de sensibiliser les gens aux stratégies de genre, au respect et sécurité des personnes, et aux politiques d’équité. Finalement, je veille à ce qu’il existe des mécanismes permettant de répondre aux préoccupations des plaignants, des membres d’équipe, des autres parties prenantes et des membres de la communauté.

De plus, je dirige directement deux projets liés à la santé et aux droits sexuels et reproductifs des adolescents, dont l’un, intitulé Fondations pour la santé et l’autonomisation, est financé par Affaires mondiales Canada. Je supervise et encadre directement ces projets et apporte un soutien technique aux équipes.

Où avez-vous travaillé dans le monde?

J’ai travaillé comme consultante au Tadjikistan pour la mise en place du Programme de développement des sociétés de montagne, ainsi que d’autres programmes. J’ai également travaillé en Afghanistan dans le cadre d’affectations en tant que consultante et Nazrana du temps et du savoir (TKN). De plus, j’ai mené une formation pour l’OMS sur la mobilisation sociale et le genre en Tunisie. Finalement, j’ai fait des présentations aux États-Unis, au Royaume-Uni, au Canada, en Afrique de l’Est, au Népal, au Bangladesh – j’ai beaucoup voyagé pour présenter mon travail dans le monde entier.

Mon endroit préféré est le Canada. Ce pays a toujours suscité ma curiosité. Lorsque je travaillais pour le programme Améliorer l’employabilité et le leadership parmi les jeunes (EELY), financé par Affaires mondiales Canada, la Fondation Aga Khan Canada m’a invitée à présenter mon travail dans quelques universités et centres ismaéliens, puis m’a fréquemment invitée à présenter des conférences et des ateliers.

Yasmin s’exprime à l’Université de Victoria lors de la série de séminaires universitaires en 2017.
Qu’est-ce qui a déclenché votre passion pour l’égalité entre les genres? Comment avez-vous débuté dans ce domaine?

À la fin des années 80, j’ai rejoint l’AKRSP en tant qu’organisatrice sociale. J’étais une agente très junior, mais j’ai occupé ce poste jusqu’en 2001. À cette époque, nous travaillions au développement communautaire, et j’ai constaté que dans les communautés villageoises, la majorité des hommes s’organisaient, créaient leurs institutions, obtenaient des projets de l’AKRSP et effectuaient de nombreux travaux de développement. Mais en même temps, nous avons constaté que les femmes du village envoyaient également des demandes à l’AKRSP. Il est clair que les femmes veulent aussi participer au développement. Alors, pourquoi ne pas travailler également pour les femmes?

Ce fut un point tournant pour nous. Nous avons commencé à former des organisations de femmes, en adoptant une approche axée sur les femmes dans le développement. Cette organisation m’a ensuite promue d’organisatrice sociale à coordinatrice des femmes dans le développement. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler avec les femmes. J’ai vu la souffrance des femmes et j’ai acquis beaucoup d’expérience. Je suis ensuite passée au développement des entreprises et aux programmes de soutien à la formation, puis j’ai découvert l’approche d’intégration de la dimension de genre et j’ai voulu en savoir plus et intervenir dans ce secteur.

Je suis allée à l’université de Sussex pour faire ma maîtrise et j’ai côtoyé de nombreuses universitaires féministes et mouvements féministes qui m’ont inspirée. J’ai étudié les théories et l’histoire des efforts et des luttes des femmes pour leur émancipation. Mon inspiration s’est renforcée, et j’ai décidé que je travaillerais comme conseillère en matière de genre.

En dehors de mon travail, je suis activiste sociale bénévole pour l’émancipation des femmes et la promotion de l’éducation des filles, entre autres.

Comment expliqueriez-vous l’égalité entre les genres?

L’égalité entre les genres concerne essentiellement la participation égale des femmes et des hommes à toute forme de travail – dans les domaines du développement, de l’éducation, de l’accès aux services de santé, etc. L’égalité entre les genres consiste à donner la possibilité aux femmes et aux hommes d’occuper une position égale.

De quel projet d’égalité entre les genres êtes-vous le plus fière?

En tant qu’activiste sociale qui travaille sur l’égalité entre les genres, j’ai fait partie de nombreux groupes d’activistes au pays. J’ai vécu un moment mémorable lors de la décentralisation du pouvoir politique au Pakistan. La gouvernance locale a fait l’objet de réformes en 2004 et 2005, et les femmes ont eu droit à des quotas au niveau local et ont été encouragées à prendre part au processus politique. Elles étaient censées se voir attribuer 33 % des sièges dans les gouvernements locaux. Malheureusement, lors des élections dans ma région dans le nord du Pakistan, les femmes n’ont pas bénéficié de ce quota.

J’ai élaboré une proposition à l’intention du président du Pakistan et j’ai rencontré les sénateurs pakistanais qui pilotaient les processus électoraux. Le président a approuvé ma proposition par un décret présidentiel, et l’ordonnance a été approuvée. Ainsi, dans le nord du Pakistan, les femmes se sont vu attribuer des quotas de 33 % dans la gouvernance locale et un budget distinct d’un demi-milliard.

C’était l’une des plus grandes réussites dans le secteur du développement pour la participation politique et le développement du leadership. J’ai été sélectionnée pour le prix Nobel de la paix. Le premier ministre du Pakistan m’a également décerné le titre de défenseuse nationale des droits de la personne.

Quel conseil donneriez-vous aux personnes qui souhaitent travailler dans le domaine de l’égalité entre les genres?

Je conseillerais aux gens de faire preuve de sensibilité aux questions de genre dans chacun des processus auxquels ils participent, et de parler aux défenseurs du genre qui les entourent. Ils devraient participer à des discussions sur le genre et être encadrés par des défenseurs de l’égalité entre les genres. Ils devraient lire sur la question et participer à des interventions conçues pour l’égalité entre les genres.

Quel est le plus grand défi que les professionnels de l’égalité entre les genres devront affronter au cours des cinq à dix prochaines années?

Au cours de ma carrière, j’ai vu évoluer et émerger de nombreux défenseurs de l’égalité entre les genres. La société s’est également transformée. Avec le temps, les gens ont pris conscience des partis pris, de la discrimination et des préjugés, et les personnes informées voient ce qui ne va pas. Ces personnes tentent donc de faire entendre leur voix. Les gens sont mieux informés sur l’égalité entre les genres. Je vois que dans les universités, il y a des centaines de diplômés en études de genre.

Mais le défi est que nos institutions – l’État, le secteur privé, le secteur public – ne sont pas très sensibilisées à la question du genre. Les institutions doivent améliorer leurs propres comportements en matière d’égalité entre les genres et de positions de genre.

Quel est votre plus grand espoir pour l’avenir?

Je suis assez optimiste quant à l’égalité entre les genres. À notre époque, les jeunes qui sortent de l’université, qui sont diplômés ou qui exercent une profession libérale sont très sensibles aux questions de genre et veulent des approches transformatrices en la matière. Donc, d’un côté, des choses positives se produisent.

D’un autre côté, il existe des problèmes et des défis en matière de normes de genre – des normes de genre fortement patriarcales – qui sous-tendent la violence sexiste et d’autres préjugés et discriminations. J’espère qu’il y aura de plus en plus de diplômés en égalité entre les genres et qu’ils sensibiliseront les gens aux questions de genre, et que la société deviendra plus juste et plus égale sur le plan du genre. J’espère que les femmes se verront offrir des possibilités de leadership et atteindront l’égalité des chances en matière d’emploi et de statut social.

Je crois que les nouvelles générations sont sur la bonne voie. Vous savez, ma famille est très sensible aux questions de genre. La plupart de mes enfants font du sport, et ma belle-fille est une grande athlète. Elle est capitaine de l’équipe féminine de football du Pakistan. Mes fils ont introduit les arts martiaux mixtes pour les filles et les garçons au Pakistan. Mon fils est un champion international d’arts martiaux mixtes. Et mon fils aîné est un professeur d’arts martiaux mixtes. Toute ma famille me soutient – mon mari vient de m’apporter du thé et est assis avec moi pour écouter ce dialogue sur le genre. Ma famille est sensible aux questions de genre et agit pour changer les choses en la matière. Donc, vous savez, ils jouent leur rôle pour l’égalité entre les genres dans la société.

 

Cet entretien a été révisé et abrégé à des fins de clarté.

 

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